NOTRE TRÈS CHÈRE DETTE, par François Leclerc

Billet invité.

Poursuivant ses tentatives visant à renforcer la résistance des banques lors d’une nouvelle crise financière aiguë, le Comité de Bâle étudie de nouvelles mesures réglementaires dans la lignée des précédentes. Il serait question cette fois-ci, nous apprend le Wall Street Journal, de mettre fin à la pratique attribuant zéro risque aux titres de la dette souveraine dans les bilans bancaires, ce qui minore leurs besoins en fonds propres.

Pour mémoire, les banques de la zone euro détiennent 1.800 milliards d’euros de ces titres, soit environ 6% de la valeur de leurs actifs, les banques italiennes y contribuant pour plus de 400 milliards d’euros et les espagnoles pour près de 300 milliards, d’après la BCE. Et le monde bancaire est opposé à ce projet qui aurait pour conséquence d’augmenter les besoins en capital et de diminuer le rendement de ses établissements. Avec à la clé la menace de stopper les achats de dette publique, ce qui sonnerait la la fin de l’accalmie sur son marché.

La question est d’autant moins académique qu’elle conduit à s’interroger sur la nature du risque que le Comité de Bâle envisage de prendre en compte. S’agissant de titres souverains, il n’en existe que deux : celui du défaut de remboursement et celui d’une restructuration qui peut prendre différents aspects, décote ou rééchelonnement. Les régulateurs envisageraient donc qu’ils puissent se concrétiser – puisqu’il faut l’évaluer – en dépit du tabou actuel qui rompt avec une longue tradition historique de défauts, comme l’a rappelé David Graeber dans son livre « Dette, 5.000 ans d’histoire ». On attendra avec curiosité la méthode d’évaluation qui sera proposée et l’on retiendra dans l’immédiat le sens du réalisme du Comité de Bâle dans cette affaire.

D’autres voix se font entendre, qui n’en manquent pas non plus. C’est le cas de Kenneth Rogoff, professeur à Harvard, qui explique dans un article consacré à la crise européenne : « il est difficile d’entrevoir un dénouement qui ne ferait pas intervenir une démarche significative de restructuration et de rééchelonnement de la dette. L’incapacité des responsables politiques européens d’envisager un tel scénario pèse d’un poids considérable sur la Banque centrale européenne. »

Ou bien celui d’Hans-Werner Sinn, le président de l’institut allemand IFO, qui constate qu’au sein de l’eurosystème « les particuliers et les entreprises sont surendettés, les banques sont surendettées, les États sont surendettés et les banques centrales nationales sont surendettées », pour en tirer la conclusion que « les pays du Sud de la région euro ont besoin d’être soulagés de leur dette pour relancer la croissance économique et les créditeurs doivent en payer le prix ».

Ces voix restant encore isolées, le Comité de Bâle allant prendre son temps (s’il parvient à ses fins), comment la BCE va-t-elle évaluer la dette souveraine d’ici la fin de l’année à l’occasion de son examen des bilans bancaires ? Quel sera la crédibilité de son exercice si elle ne prend pas en compte les travaux du Comité de Bâle, au prétexte qu’ils sont en cours ? En tout état de cause, ce dernier vient de rendre plus crédible de futures restructurations de dette, cette perspective dont la petit musique n’a pas fini d’être entendue.